Archives communales
La petite enfance : histoire d’un mode de garde
« L’enfance est un voyage oublié » Jean de la Varende
La garde des enfants en bas âge a longtemps été une affaire familiale[1]. Le rôle de la mère était mis en avant et personne n’imaginait élever son enfant avec ceux d’autres.
La seule exception résidait alors, pour les familles pouvant se le permettre, dans le recours à une nourrice. L’enfant était alors remis à une nourrice, à la journée ou sur le long terme, qui le nourrissait et s’en occupait[2] contre rémunération. Si la pratique existe depuis longtemps, elle resta cantonnée jusqu’au XVIIème siècle aux couches supérieures de la société (la noblesse, puis la bourgeoisie).
Au XVIIIème et surtout au XIXème siècle, la mise en nourrice se démocratisa largement, touchant toutes les strates de la société via l’urbanisation et le développement du travail des femmes. Les mises en nourrices se faisaient à domicile pour les plus fortunés, et à la campagne pour les autres. Les enfants y étaient laissés à minima jusqu’au sevrage, voir jusqu’au moment de la marche.
Cette pratique a néanmoins eu tendance à fragiliser les nourrissons. Le transport jusqu’à leur gardienne, l’absence d’hygiène, le partage du lait avec les enfants de la nourrice et bien d’autres choses étaient en cause. Cela aboutissait à un taux de mortalité infantile qui pouvait deux à trois fois plus important que le taux national, alors de 17,9%. Cette problématique poussa l’Etat français à réglementer la profession. Ce sera chose faite le 23 décembre 1874 avec la loi Roussel. Cela donna lieu à l’apparition d’un certain nombre de documents[3], dont plusieurs sont visibles au sein des fonds d’Archives municipales de Lunel. Ces derniers fournissent une image de ce que furent les nourrices à cette époque.
Comme nous pouvons le voir sur les registres de déclarations des nourrices, sevreuses et gardeuses[4] de Lunel, chaque fois qu’un enfant était accueilli par une nourrice, une déclaration devait être faite. Elle contenait nombre de renseignements.
La femme concernée devait tout d’abord fournir son état civil, son adresse ainsi que sa situation de famille et l’âge de ses enfants. Ces données permettaient de s’assurer de la stabilité du foyer ainsi que du fait que la nourrice était prête à avoir un enfant en garde. En effet une femme n’était pas autorisée à allaiter plusieurs enfants en même temps si elle était nourrice. Ses propres enfants devaient être âgés à minima de sept mois ou eux même en nourrice et elle ne pouvait accueillir deux enfants en même temps, hormis sur dérogation[5]. Cela participait à la santé de l’enfant placé chez elle en évitant les cas de rachitisme par exemple. En examinant le plus ancien registre d’enregistrement de Lunel, daté de 1885, aucune contrevenante n’est visible : sur vingt-neuf femmes (l’une d’elle apparaît deux fois), dix-sept ont vu la mort de leur propre enfant avant de devenir nourrice, sept avaient des enfants déjà sevrés, une a placé son propre bébé auprès d’une autre nourrice et rien n’est spécifié pour les cinq dernières. De plus, aucune femme n’a obtenu de dérogation pour accueillir plus d’un enfant cette année-là.
D’autres obligations sont ensuite visibles dans la suite de la déclaration.
Tout d’abord un certificat du maire était demandé. Ce dernier contenait de nombreux renseignements. Il attestait ainsi que la future gardienne souhaitait bien accueillir un enfant, mais également la date de naissance de son dernier enfant, son état (mort, en nourrice ou déjà sevré), l’accord de son mari, l’historique des enfants précédemment accueillis et enfin le fait qu’elle possédait le matériel de « puériculture » minimal, à savoir un berceau et un garde-feu[6]. Cette attestation visait à éviter les abus.
A cela s’ajoutait une vérification de l’état de santé de la prétendante. Assez sommaire, elle se résumait en la validation de la date du dernier accouchement ainsi que de la vaccination de la femme examinée. Le médecin attestait également de l’absence d’infirmité et de maladie contagieuse.
Enfin, la mention de la délivrance d’un carnet de nourrice est présente. Il résumait toutes les informations utiles à la nourrice en devenir : rappels des renseignements fournis, des certificats obtenus, textes encadrant la profession, liste de la layette fournie au moment de l’arrivée de l’enfant, …. Ce document devait être conservé par la nourrice, même après le départ de l’enfant. Il n’y en a donc pas trace au sein des Archives municipales.
Enfin, le registre des déclarations des nourrices, sevreuses et gardeuses étant rempli à chaque prise en charge d’un enfant par une nourrice, il comporte aussi des renseignements sur le bambin pris en charge. Son état civil, sa ville d’origine, ainsi que l’état civil de ses parents étaient indiqués. Les enfants provenaient dans leur quasi intégralité des alentours : du Gard ou de l’Hérault. Un seul bambin venait de plus loin : Angèle Lange s’occupa ainsi d’un petit arlésien en 1907. La prise en charge était ensuite détaillée. A Lunel, qui est situé dans le sud de la France, l’habitude est d’élever l’enfant au sein. Sur soixante-quatorze enfants mis en nourrices entre 1905 et 1913, soixante-dix furent élevés ainsi, deux au biberon et deux seulement ont été mis en garde après leur sevrage.
Deux autres points étaient également précisés : la date du retrait de l’enfant, ou celle de son décès. Il arrivait en effet que l’enfant meure en nourrice. Ce fut le cas à Lunel où environ 12.16% des enfants placés entre 1905 et 1913 sont morts. On remarque cependant que ce taux est plus bas que le taux de mortalité infantile national de l’époque : 15%.[7] La loi Roussel a donc produit ses effets, les enfants survivaient mieux à leur passage en nourrice.
Quelques détails administratifs sont également présents. Certaines nourrices dépendaient d’un bureau de placement dont le nom pouvait être indiqué sur le registre d’enregistrement. Ces bureaux étaient néanmoins plus fréquents au sein de centres urbains importants. Aucune mention de bureau n’est ainsi visible sur les registres de Lunel. Pour terminer, les dérogations d’accueil, pour garder plus d’un enfant étaient indiquée ici.
Le placement en nourrice se maintiendra jusqu’au début du XXème siècle, moment où les découvertes de Pasteur sur la stérilisation du lait et le développement de l’hygiène des biberons feront disparaître cette pratique[8]. Ce déclin est visible à Lunel, où trente et un enfants ont été pris en charge en 1885, contre vingt-cinq en 1905 en et douze en 1913[9].
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Si les nourrices ont disparu, d’autres solutions de garde pour les enfants de premier âge ont émergé à partir du XIXème siècle. Basée sur la garde collective d’enfants, la crèche fut créée en 1844 à Paris. Présentes depuis 1980[10] sur la ville, elles se sont depuis multipliées. Lunel compte en effet maintenant une structure privée, Beebaby, et quatre municipales, le Manège enchanté, l’Ile aux Enfants, Babilune et Babiose[11]. Cette dernière a été ouverte en 2024[12].
[1] https://shs.cairn.info/guide-de-l-eje--9782100709755-page-19?lang=fr, consulté le 02/01/2025.
[2] https://www.cnrtl.fr/definition/nourrice, consulté le 02/01/2025.
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/download/securePrint?token=kfb2G3k0QXHe3pP2VN!T, Journal officiel de la République française (Paris 1870) (autre) (version papier numérisée) n° 0007 du 08/01/1875, p. 10, consulté le 02/01/2025.
[4] Archives de Lunel, 4Q6, Protection des enfants du 1er âge : déclarations des nourrices et des parents ou ayant-droits, 1884-1905.
[5] http://passeurdememoire.over-blog.com/page-loi-roussel-loi-du-23-decembre-1874-relative-a-la-protection-des-enfants-de-premier-age-5195814.html, consulté le 02/01/2025.
[6] https://www.aprogemere.fr/dossiers/histoire-locale/photos/1185-1900-le-carnet-de-nourrice, consulté le 02/01/2025.
[7] https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/graphiques-cartes/graphiques-interpretes/esperance-vie-france/#:~:text=Au%20cours%20du%20XXe%20si%C3%A8cle,de%20ceux%20n%C3%A9s%20en%202015., consulté le 02/01/2025.
[8] https://www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/allaiter-aujourd-hui-extraits/1139-54-histoire-de-lallaitement-histoires-dallaitement, consulté le 02/01/2025.
[9] Archives de Lunel, 4Q6, Protection des enfants du 1er âge : déclarations des nourrices et des parents ou ayant-droits, 1884-1905.
[10] Archives de Lunel, 204W01, Halte-garderie, création : état des lieux, règlement, plans, commission de sécurité, agrément PMI, courrier, arrêtés d'ouverture. (1980-2004).
[11] https://www.lunel.com/category/points-et-infos-pratiques-des-creches/, consulté le 06/01/2024
[12] https://www.lunel.com/2024/09/30/babiose-la-micro-creche-inauguree/, consulté le 02/01/2025