Les amours pastorales de Daphnis et Chloé de Longus

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Un exemple de la pratique bibliophilique de Louis Médard

Ce roman grec de Longus (fin du IIe siècle après Jésus-Christ), retrace les amours de Daphnis et Chloé, enfants abandonnés et recueillis par des cultivateurs qui les élèvent pour en faire des bergers. Leur amour s’épanouira lorsqu’ils découvriront qu’ils sont des grands seigneurs...

 

Ce roman a été très souvent publié, mais jusqu’à la découverte de Paul Louis Courier en 1807, le texte était incomplet, le manuscrit utilisé jusque là étant lacuneux.

" Grâce à ce savant helléniste que l’esprit de parti a tant persécuté et a fini par faire assaciner en 1825, nous avons l'oeuvre complète de Longus" 

Louis Médard a acheté cinq éditions : quatre du XVIIIe siècle (qui comportent donc la lacune du texte) et une édition du XIXe, chacune d’elles pour une raison précise.

 

1.Édition dite du Régent de 1718

" Cette édition imprimée aux frais du régent, Philippe d’Orléans, est ornée de 28 gravures exécutées par Benoît Audran d’après les dessins de ce prince. On voyait avant la Révolution sur les murs du château de Meudon, de très belles peintures qui étaient aussi de la composition du Régent
L’exemplaire contient la célèbre planche « des petits pieds » gravée en 1728 par le comte de Caylus. La traduction est celle de Jacques Amyot du 16e siècle. L’exemplaire vient du marquis de Fontanes grand maître de l’Université."

Les amours pastorales de Daphnis et Chloé
Musée Médard (n°inv. : 1858-0-L062)

 

 

2. Édition grecque et latine de 1778

Louis Médard a acheté une édition grecque et latine donnée par J.B.C. d’Ansse de Villoisin et imprimée chez Didot en 1778 pour Guillaume de Bure parce que, dit-il « c’est une bonne édition recherchée ». L’ouvrage a appartenu au baron Hely d’Oissel. 

Daphnis et Chloé
Musée Médard (n° inv. : 1858-0-A037)

 

 

 

3. Un exemplaire vient de la bibliothèque de Courtois, rapporteur contre Robespierre.

Louis Médard a tenu à cette édition qui dit-il, elle est destinée : 

« de préférence aux jeunes personnes »

car le traducteur l’abbé Mulot (1749-1804)

«…, plus sévère que Amyot, a châtié le texte et en supprimant deux passages qui blessaient la pudeur, en a fait un livre qui ne peut nuire aux mœurs, mais qui n’a pas le même charme du vieux style d’antan… »

 

Les amours de Daphnis et Chloé
Musée Médard (n° inv. : 1858-0-K011)

 

 

 

4. Une belle édition de Pierre Didot exécutée sur les presses du Louvre, est ornée de gravures réalisées d’après les peintures de Gérard et Prud’hon. Louis Médard a aussi truffé l’ouvrage :

 « Cette édition en papier vélin est ornée de neuf gravures… j’ai ajouté à cet exemplaire les 28 gravures exécutées par Audran d’après les dessins du Régent… » 

 

Les amours pastorales de Daphnis et Chloé
Musée Médard (n° inv. : 1858-0-A070)

 

 

 

5. Édition revue par Paul Louis Courier (1773-1825) et publiée en 1821.

« Cette édition a été annoncée des prisons de Ste Pélagie dont Courier était alors un des honorables détenus pour avoir écrit que l’héritier présomptif du trône avait plus besoin de l’amour du peuple que de la terre de Chambord » 

C’est la première édition avec le texte complet, découvert par l’helléniste P.-L. Courier en 1807 dans un manuscrit à Florence. Louis Médard loue la traduction donnée par Courier : 

« Il a rétabli le texte dans sa pureté, a conservé religieusement les beautés de la version d’Amyot et la naïveté de son style ; il a établi, entre les passages conservés et ceux nouvellement traduits, une harmonie telle que l’on croirait l’ouvrage écrit par la même main ; il a enfin reproduit avec une étonnante vérité les traits, la physionomie et les grâces de Longus » 

Mais cette découverte s’était accompagnée d’incidents : Louis Médard raconte l’histoire de « la lacune réparée» :

" En lisant dans le manuscrit de la Bibliothèque Laurentienne de Florence, le passage inédit qui remplaçait la lacune remarquée dans toutes les éditions du roman de Longus, Courier eut, dans son transport, une distraction qui donna lieu à ce fameux pâté qui, chez les bibliothécaires florentins, sembla la destruction du Palladium de Florence. Courier, tout occupé de la copie du morceau inédit avait l’encre avec les barbes de sa plume, pour la rendre plus fluide ; cette plume, ainsi imprégnée fut jetée par mégarde sur la table où se trouvaient des papiers, un de ceux-ci s’était taché par le contact de la plume, et, placé comme marque dans le manuscrit, avait fait le pâté. Une copie authentique du supplément fut donnée par Courier, ainsi qu’une attestation écrite sur la feuille même du manuscrit en ces mots :

" Ce morceau de papier, posé par mégarde dans le manuscrit … s’est trouvé taché d’encre ; la faute en est toute à moi qui ai fait cette étourderie, en foi de quoi j’ai signé. Florence. 10 novembre 1809. Courier " 

Les savants florentins aperçoivent le lendemain, l’odieux pâté qui couvrait quelques lignes. Ravis de trouver une occasion de venger leur amour-propre irrité contre un français qui avait eu l’audace de découvrir un passage inédit dans leur bouquin, ils poussent des cris d’indignation et de rage ; ils soulèvent toutes les autorités contre le coupable ; il n’est pas de peine assez sévère pour punir un tel sacrilège. Courier se contente de reprendre que rien n’est perdu… pendant plusieurs années Courier est persécuté pour son pâté dans toute l’Italie. Heureux pour lui d’avoir échappé au sort de Galilée et de Christophe Colomb. »

 

Les pastorales de Longus : Daphnis et Chloé
Musée Médard (n° inv. : 1858-0-A017)